En résidence d'artiste au collège pierre de ronsard,

la photographe Sophie Chausse a proposé à différentes

classes de travailler sous forme d'atelier d'écriture et

de dessin.

Les élèves étaient invités à s'inspirer de photos prises

dans leur collège pour écrire des textes décalés et les

illustrer.

samedi

Le monde silencieux

Je regardais mon repas depuis dix minutes sans y toucher. Je ne voulais pas que mes grands-parents se sentent vexés, car d’habitude, j’adore les radis mais là, je n’avais vraiment pas faim.
- Alors ? s’étonna grand-maman. Tu n’aime plus les radis ?
- Si, grand-maman, mais je pas faim.
- Quelque chose te tracasse ?
- Non, non… Ne t’inquiète pas, la rassurais-je.
Elle me permit de quitter la table, non sans me lancer un regard inquiet. Je sortis de la pièce et me rendis dans le jardin, pensive…
En réalité, quelque chose me dérangeait. Je me rappelais très clairement de tout ce que m’avais dit Gaël, pas plus tard qu’hier : « Ela, il faut que je te montre quelque chose ! »

Je l’avais suivi jusqu’à la chose qu’il tenait à me faire voir. Ça se trouvait assez loin du village, au fin-fond de la forêt. Nous avons dévalé un nombre incalculable de sentiers pour arriver, enfin, dans une petite clairière isolée, cachée derrière de grands buissons de ronces. Au centre se dressait un grand chêne majestueux.



« Nous sommes arrivés, déclara mon ami. »
Ne disant mot, je m’avançai dans la clairière et, je m’arrêtai net. Une sorte de tourbillon était apparu devant le tronc de l’arbre. On pouvait deviner les formes d’un paysage dans cette drôle de chose. J’en restai stupéfaite. Gaël me demanda :
« Alors, qu’en dis-tu ? »
Encore ébahie par cet étrange spectacle, n’arrivant pas à en décrocher les yeux, je mis du temps à lui répondre.
- Qu’est-ce que c’est ?
- J’en n’en sais absolument rien ; je l’ai découvert ce matin en me promenant. J’attendais que tu viennes avec impatience pour te faire part de ce prodige. Et pour que tu l’explore avec moi.
- L’explorer ?
- Regarde…
Gaël s’engouffra dans le tourbillon en me tirant par la manche de mon pull. Je n’en crus pas mes yeux. Le tourbillon nous aspira ; j’entendais le vent souffler à mes oreilles. Partout autour, une lumière aveuglante m’obligeait à fermer les yeux.

Soudain, le silence se fit et j’ouvris les yeux. Mon souffle fut coupé : devant moi s’étalaient des collines verdoyantes. Une douce brise soufflait et semblait caresser l’herbe, éclairée par le soleil. Le soleil… Je levai les yeux et m’aperçut qu’il était bleu ! Pourtant, ses rayons étaient bien dorés. Je me rendis compte d’une autre anomalie : il n’y avait aucun bruit. Partout, le silence. Je me tournai vers Gaël pour lui demandait ce que cela signifiait. Aucun son n’en sortit. Gaël m’adressa un sourire gêné et haussa les épaules. Puis, sa main tenant toujours la mienne, il m’entraîna. Nous marchâmes ainsi pendant une heure à peu prés, visitant les forêts, les collines, tout ce qui nous entourait… Nous nous arrêtâmes finalement devant un lac et nous allongeâmes dans l’herbe. Un oiseau se posa près de nous. Mais il ne fit pas ce bruissement d’ailes qu’il aurait dû faire. Décidemment non, je ne m’y habituerais jamais ! Nous restâmes ainsi allongés, regardant le soleil décliner à l’horizon et virer au vert !
Dans ce silence, sous cette brise fraîche, les yeux dans les étoiles qui constellaient le ciel à l’infini, -ce dernier maintenant turquoise- nous étions bien. Nous n’avions pas besoin de mots pour communiquer. Un regard suffisait. Gaël se redressa finalement ; je l’imitai à mon tour, à regret.
Nous revînmes lentement, jetant un dernier coup d’œil sur les paysages nous entourant, comme si nous voulions nous imprégner à jamais de cet instant. Les collines avaient dans cette lumière turquoise, une teinte mystérieuse… Nous retrouvâmes le tourbillon et nous en allèrent, lançant un dernier regard derrière nous, n’ayant aucune envie de retourner dans l’autre monde. Quand nous fûmes de l’autre côté, mes oreilles bourdonnèrent, retrouvant le bruit. Nous rentrâmes, sans dire un mot.


Maintenant, je suis là à attendre que Gaël vienne. J’entends les oiseaux chanter dans le jardin. Et je reste, sans bouger…
Tout à coup, la sonnette retentit. Je vais ouvrir ; Gaël est là… Je lui souris et me jette dans ses bras. « On y retourne? me souffle-t-il à l’oreille.
- Je n’attendais que toi pour y aller ! »
Nous courûmes jusqu’à l’endroit et entrâmes dans le tourbillon. Rien n’avait changé. Nous partîmes dans une autre direction que la dernière fois. La sensation que j’avais ressentie l’autre fois quand je m’étais rendu compte qu’il n’y avait pas de bruit était toujours aussi étrange. Mais tout était parfait…

Mais, quelques fois, cela était frustrant de ne pas pouvoir communiquer. Ici, on était sourd. Je comprenais enfin ceux qui ne peuvent pas parler, ceux qui ne peuvent pas entendre. Je comprends comment cela peut être dur à certain moment et pourtant si bien à d’autre. Je vois qu’ils ressentent mieux que quiconque ce qui nous entoure et ce que nous ne pouvons pas voir.
Je ne veux plus partir. Si je pouvais vivre ici je le ferais. Je ne m’en irais jamais.

Nous nous promenâmes comme la veille puis rentrâmes. Nous revînmes tous les jours pendant trois semaines.
Un jour, alors que nous nous trouvions devant le tourbillon, il se mit à pleuvoir. Nous étions à l’abri sous le couvert des feuilles. Mais bientôt des éclairs apparurent.



Nous ne pouvions plus sortir de la clairière, pris au piège par les ronces. Nous courûmes vers le tourbillon mais nous nous heurtâmes à celui-ci. Nous étions enfermés. Un éclair éclata et il fit brûler une des branches du grand arbre. D’autres fusèrent du ciel et nous aveuglèrent. Nous tombâmes. Les buissons de ronces s’enflammèrent. Nous tentâmes de nous glisser vers le tourbillon. En vain.
Nous sommes encerclés par le feu. Nous allons mourir. Pourtant tout autour de nous est magnifique. D’une beauté dangereuse. Apocalypse…
Nous avons trouvé un autre monde. Quelque chose d’extraordinaire, que bien des gens auraient voulu trouver.
Nous allons mourir. Et pourtant je ne suis pas triste, je ne ressens plus rien. Je veux seulement m’imprégner de la magie qui nous entoure. Ma vie aura été, certes courte mais belle. J’aurais été entourée d’amour, et vu des choses incroyables.
Nous allons mourir. Je sens la vie partir peu à peu. J’attrape la main de Gaël. Je tourne mon visage vers le sien et lui souris. Il me rend ce sourire. Le feu rampe vers nous. Je le sens, tout près. La chaleur devient intenable. Gaël a fermé les yeux ; je l’imite à mon tour. Je me serre contre lui. Il fait chaud.

Soudain, plus rien. J’ouvre mes yeux. Le feu a disparu ; je vois Gaël qui se redresse. Nous ne comprenons pas. Le jour revient aussi vite qu’il est parti. N’était-ce qu’un rêve ? J’ai la certitude que non. Un oiseau crie, il passe devant nous. Ce n’est pas un simple oiseau : c’est un griffon comme il y en a dans les livres que j’ai lu. Il s’arrête et se pose sur une branche du grand arbre. Il nous regarde tour à tour nous relever. Quand nous sommes sur pieds, il semble nous faire un clin d’œil puis s’envole et disparaît.
Un bruit retentit : le tronc du grand arbre se brise en deux. Mais les deux côtés ne tombèrent jamais au sol : ils se volatilisèrent. Mais nous n’avions pas fini d’être surpris : un autre arbre poussa à l’emplacement exact où était situé l’autre. Il poussa jusqu’à devenir grand comme l’ancien. Un tourbillon bleu apparaît devant son tronc.
Ebahis, nous ne pouvons plus parler. Qu’est-il donc arrivé ? Puis, Gaël se tourne vers moi.
« Et si nous allions l’explorer ? »

En souriant, il me prit par la main et m’entraîna dans le tourbillon.




texte de Milena Djelic 4E * illustré par Sumaya Moussaoui 6E et Rafaël Eller Dull 4E

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